Bonjour à tous,
Il m’a fallu du temps pour écrire ce mot et raconter mon histoire.
J’ai reçu de nombreux messages de la part des femmes et des couples que j’ai accompagné qui m’assuraient de leur soutien et me demandaient ce qu’ils pouvaient faire pour m’aider.
Au début, je n’osais pas tellement en parler, cette histoire ne concerne que moi et mes proches après tout, chacun a ses propres problèmes.
Ensuite, je ne savais pas vraiment de quoi j’avais besoin.
Mais depuis j’ai cheminé et je me dis aujourd’hui que je pourrais recevoir de l’aide de tous celles, ceux qui voudront participer et je pourrais même laisser la créativité de chacun s’exprimer pour que cette histoire puisse être transformée avec l’aide des personnes qui aimeraient apporter leur pierre à l’édifice….C’est une histoire d’accouchement à domicile, elle concerne tou.t.e.s celles . ceux que l’accouchement à domicile intéresse.
Alors voici l’histoire résumée pour ceux qui ne la connaissent pas. C’est une histoire de vie et de mort. De la mort d’un bébé, cette mort impossible, inimaginable…d’autant plus dans notre société ou la mort n’a pas de place.
Un bébé qui nait à terme après une grossesse normale. Une belle naissance, fluide, puissante, comme nous, les sages-femmes, les aimons. Ça se passe à la maison. Le bébé s’adapte bien à la naissance, il se met à téter rapidement et va bien.
Le lendemain, je fais une visite à domicile dans l’après-midi. Je ne constate rien d’anormal, il a un peu de mal à prendre le sein et pleure au moment de ma venue. Rien d’anormal pour moi à cet âge, juste un allaitement à surveiller dans les jours suivants. Je passe mon chemin.
Le bébé décède quelques heures après ma visite. De quoi exactement ? On ne sait pas. On retrouve une hémorragie massive digestive.
Dans les jours qui suivent le décès, les parents sont auditionnés séparément par les gendarmes. Il faut écarter la piste de maltraitance. Avec ma collègue sage-femme présente le jour de l’accouchement, nous sommes également auditionnées séparément en tant que témoins. Nous racontons l’histoire, en détails, à des gens qui ne connaissent rien à la naissance physiologique (clampage tardif du cordon, accouchement à 4 pattes dans la pénombre, laisser le bébé naitre spontanément sans pousser, naissance naturelle du placenta gardé par les parents….autant de notions totalement étrangères aux « expert.e.s »….).
Septembre et octobre 2018, je fais une pause professionnelle. Mes collègues reprennent la gestion de notre cabinet de sages-femmes. Je prends soin de moi, je me repose, j’essaie de digérer. J’ai la chance de rester très proche des parents qui font leur deuil. En Novembre et Décembre 2018, je reprends le travail et accompagne quelques belles naissances.
Fin décembre 2018, juste avant les fêtes, j’apprends que je vais être placée en garde à vue le 7 Janvier 2019. Pour 24 heures. Je décide de me faire accompagner par une avocate qui a déjà défendu avec succès des sages-femmes AAD.
La garde à vue durera au total dix heures, elle est éprouvante pour moi. Des questions sur mes compétences, on me parle d’homicide involontaire, de défaut d’assurance, de « perte de chance » pour ce bébé qui n’a pas été transféré à temps à l’hôpital (dixit le procureur). L’avocate m’avait préparé à l’argumentaire de la garde à vue (faire la preuve de mon professionnalisme) mais pas aux aspects concrets (mise au cachot pendant plusieurs heures, questions agressives et déstabilisantes alors qu’il ne s’agit que d’une « enquête préliminaire »). A la fin de la garde à vue, j’amène de nouveaux éléments sur des aspects génétiques qui pourraient expliquer le décès brutal de ce bébé. La gendarme m’informe qu’une nouvelle garde à vue sera organisée dans deux mois à compter de la date de la première garde à vue.
En rentrant chez moi, après cette première garde à vue, j’ai pleuré toute ma tristesse de devoir en passer par là. J’ai pleuré pour la violence de notre société qui cherche à trouver un coupable mais n’est pas capable d’aider les parents, la sage-femme qui sont confrontés à ce malheur. J’avais tellement besoin de soutien et de douceur….pas de cette violence, aveugle, inconsciente….
Mon compagnon, était en déplacement au moment de la garde à vue. Il m’a soutenu à distance. Des amis très proches sont venus me soutenir à la sortie de la garde à vue. Mes amis et mes proches étaient là et aussi des petits mots doux que j’ai trouvé et qui m’ont mis du baume au cœur….Oui, il fallait vous sentir tous présents pour traverser tout ça.
Le jeudi 16 Mai 2019, je suis de nouveau placée en garde à vue. Cette fois, pour un temps plus court (trois heures) et le « protocole » est moins agressif, pas de mise au cachot cette fois ci. Au cours de cette seconde garde à vue, je fournis de nouvelles pièces sur l’état clinique du bébé lors de mon passage au domicile. Les pièces sont placées sous scellés.
Le 4 septembre 2019, je suis convoquée à la Gendarmerie pour aller chercher ma convocation en justice devant le tribunal correctionnel pour le 20 février 2020. Le substitut du Procureur de la République porte plainte contre moi pour homicide involontaire.
Je ne reprendrai pas mon activité professionnelle. En effet, je ne me vois pas faire autre chose que de l’accompagnement global et après cette violence subie et ses mises en accusation, je ne suis pas suffisamment confiante et tranquille pour pouvoir soutenir les parents dans leur grossesse, mise au monde de leur petit et suivi post natal.
Je réfléchis à cette histoire. A l’engagement que demande mon métier et mon mode d’exercice. A cette « lassitude » d’être toujours à « contre-courant », de devoir militer en permanence pour faire reconnaitre le droit des couples à mettre au monde leur bébé ou ils veulent et avec qui ils le souhaitent.
J’aimerai vraiment que les conditions de l’accouchement à domicile changent en France. Que l’AAD fasse partie de l’offre de soin, que les sages-femmes soient assurées pour cet acte et soutenues en cas de malheur.
J’aspire également à ce que la mort d’un tout petit soit accompagnée différemment par la société toute entière, plutôt que de chercher un coupable, ne devrions nous pas plutôt soutenir ceux qui sont « en première ligne » (parents et professionnels de santé) ?
Ces intentions que je formule ici, comment les porter sans le soutien des parents, des professionnels de santé, de tous ceux qui pensent, comme moi, que la liberté d’accoucher à domicile est fondamentale ?
D’où l’idée de raconter et de créer ce site. Il y a tout d’abord la cagnotte pour m’aider financièrement lors de mon arrêt d’activité et pour payer les frais d’avocat. Ce site propose également un espace d’expression libre ou vous pouvez laisser libre cours à votre créativité…envie d’écrire, témoigner, proposer des idées, des initiatives pour me soutenir ou soutenir la cause….toute idée est bienvenue….
Merci à vous tous de m’aider à retrouver le sens de cet engagement, de me permettre de reprendre confiance, de m’aider à me défendre et de m’accompagner dans ce chemin, chacun à votre manière…tout cela est précieux.
Hélène Pariente, le 24 septembre 2019